Contrat international: comment déterminer le droit applicable?

1. L’exemple d’un partenariat franco-marocain qui a viré au vinaigre

Tout avait bien commencé : deux sociétés dynamiques, l’une à Marseille, l’autre à Casablanca, décident de nouer un partenariat commercial ambitieux. Leur Objectif : mutualiser leurs savoir-faire pour pénétrer de nouveaux marchés africains et européens. Le projet est estimé à plusieurs centaines de milliers d’euros, et l’enthousiasme est au rendez-vous. Quelques mois plus tard, le rêve tourne court. Le contrat de partenariat international, signé avec enthousiasme, devient le cœur d’un litige complexe et onéreux. En cause : des clauses juridiques bâclées, des omissions stratégiques et des choix catastrophiques en matière de droit applicable et de juridiction compétente.


2. Pourquoi ce contrat était-il mal rédigé ?

2.1. Des clauses “standard” aux conséquences catastrophiques

« On a personnalisé un modèle avec chatgpt », reconnaîtra plus tard le dirigeant de la société française. Croyant gagner du temps (et économiser les frais d’un avocat), les parties ont opté pour des formulations lapidaire en ce qui concerne les clauses considérées comme trop techniques:

  • Droit applicable ? « Le droit international »

  • Juridiction compétente ? « La juridiction compétente » (sic)

Sur le papier, ces formules semblent anodines. En pratique, elles ont coûté plusieurs dizaines de milliers d’euros aux parties.

2.2. Quand le flou juridique ouvre la voie au conflit

Suite à des désaccords, la société marocaine a réclamé plus de 300 000 euros de dommages et intérêts à la société française. La société française, de son côté, souhaitait résilier le contrat sans délai.

Mais quel tribunal est compétent pour trancher ? Quel droit faut-il appliquer ? Aucune réponse claire. Chacun invoque ses propres règles : le Code civil français d’un côté, le DOC marocain de l’autre. Les avocats s’opposent sur tous les fronts. Résultat : plusieurs procédures engagées en France et au Maroc. Résultat : incertitude juridique, délais, frais d’avocat élevés… et un risque réel d’inexécution du contrat.


3. Pourquoi les clauses de droit applicable et de juridiction sont essentielles dans un contrat international ?

3.1. L’absence de clause peut impacter la validité du contrat

Dans le cas susvisé, un contrat doit contenir un contenu certain pour être valable en droit français (articles 1128 du Code civil français). Même exigence du côté marocain, avec les articles 58 et 59 du Dahir des Obligations et des Contrats (DOC). En d’autres termes, un contrat trop flou peut être considéré comme non valable ou nul. La valeur de l’accord – même s’il porte sur plusieurs centaines de milliers d’euros – devient alors inexistante.

3.2. Clauses vagues = conflits de loi garantis

L’absence de choix clair sur le droit applicable ou la juridiction compétente peut rapidement créer un conflit de loi. Dans notre exemple, la détermination du droit applicable et de la juridiction compétente s’est vite avérée un casse-tête juridique pour les raisons suivantes:

3.2.1. L’inapplicabilité des textes européens

Les textes européens comme le Règlement Rome I (CE n°593/2008), qui permettent de trancher les conflits de lois en matière civile et commerciale dans l’Union européenne, ne s’appliquent pas au contrat franco-marocain, le Maroc n’étant pas membre de l’UE, ni partie à ce texte.

3.2.2. Le recours à l’arbitrage n’est pas une solution automatique

La Convention de New York du 10 juin 1958, qui facilite la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales, n’a d’effet que si une clause compromissoire ou un compromis d’arbitrage est inséré dans le contrat. L’arbitrage ne s’impose pas: il ne suffit donc pas de compter sur cette convention comme filet de sécurité.

3.2.3. L’inapplicabilité de la Convention de Vienne dans ce cas

La Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (CVIM, Vienne 1980) ne s’applique qu’aux ventes de marchandises entre entreprises établies dans des États contractants. Un contrat de partenariat commercial sans vente de biens ne permet pas son application. Trop souvent, les dirigeants supposent à tort qu’elle s’applique par défaut.

3.2.4. Les principes UNIDROIT et la lex mercatoria ont des limites

Certains professeurs ou experts académiques évoquent les principes UNIDROIT comme référence juridique. Pourtant, ils ne constituent pas une loi applicable au sens juridique, comme l’a rappelé la Cour de cassation (Cass. com., 16 novembre 2022, n°21-17.338).

La lex mercatoria, ensemble de coutumes et usages du commerce international, peut être invoquée dans certains cas… mais reste sujette à interprétation, notamment si elle n’est pas reconnue explicitement par les juridictions saisies.

3.2.5. Les conventions bilatérales ne règlent pas tout

Dans notre exemple, il existe plusieurs conventions entre la France et le Maroc, mais aucune ne régit de manière claire les conflits de lois applicables aux contrats commerciaux. Beaucoup de conventions bliatérales concernent l’entraide judiciaire ou la reconnaissance des jugements, mais pas la loi applicable au fond.

3.3. Le coût du vide juridique

Dans le litige franco-marocain, les parties n’ont pas anticipé les conséquences d’un conflit de lois. Elles couraient le risque que les juridictions françaises et marocaines, toutes les deux saisies, prennent des décisions contradictoires. À Casablanca, le tribunal a estimé que le contrat était soumis au droit marocain. À Marseille, on a jugé que le droit français s’appliquait. Résultat : blocage total, aucune exécution possible, et une perte de temps et d’argent considérable pour les deux sociétés.

Pendant deux ans, aucun partenaire n’a pu faire valoir ses droits. Les sommes sont restées bloquées, le projet a été abandonné, et la relation commerciale s’est transformée en un contentieux juridique coûteux. Le simple fait d’avoir négligé deux clauses a suffi à ruiner un projet structurant.


4.Comment sécuriser juridiquement un contrat international ?

4.1. Les clauses à ne jamais négliger

Pour qu’un contrat international tienne la route, certaines clauses doivent être rédigées avec précision :

  • Objet du contrat et obligations des parties: définissez exactement ce que les parties s’engagent à faire
  • Prix et modalités de paiement : clarifiez les obligations financières et prévenez les litiges liés aux conditions de règlement
  • Indexation des prix : protégez les parties contre les fluctuations monétaires ou l’érosion liée à l’inflation, en particulier dans un contexte international où les paiements peuvent être effectués dans différentes devises
  • Droit applicable : choisissez clairement une législation nationale (ex. : “Le présent contrat est régi par le droit français”) ou une convention internationale applicable (ex: CVIM)

  • Juridiction compétente : désignez un tribunal précis (ex. : « Tribunal de commerce de Paris » )

  • Clause d’arbitrage (si souhaitée) : indiquez le centre d’arbitrage, le siège, le règlement applicable, la langue (ex. : « Tout litige, controverse ou réclamation découlant de, ou par rapport à, ce contrat, y compris la validité, invalidité, violation, ou sa résiliation, sera résolu par arbitrage conformément au Règlement suisse d’arbitrage international des Chambres suisses, Institution d’arbitrage en vigueur à la date à laquelle l’avis d’arbitrage est soumis conformément au présent règlement. Le nombre d’arbitres est de … (un/deux/trois/cinq); Le siège de l’arbitrage est … (nom de la ville en Suisse); La procédure arbitrale se déroule en … (insérer la langue souhaitée) »)

  • Langue du contrat : évitez les litiges sur les versions contradictoires du contrat

  • Clause résolutoire : pour sortir du contrat en cas de manquement grave

  • Procédure amiable préalable : incitez à la négociation avant contentieux

4.2. Pourquoi un contrat type ne suffit jamais

Chaque projet international a ses spécificités : secteur d’activité, pays partenaires, monnaie utilisée, mode de règlement, niveau de risque. C’est pourquoi l’usage de modèles standard et l’utilisation d’IA génératives sans compétences juridiques est souvent dangereux. Un contrat international ne peut pas se rédiger avec des copier-coller approximatifs. Il faut un cadre juridique sur mesure, adapté au projet et aux parties, avec une expertise humaine indispensable à la rédaction des contrats.

4.3. Ne laissez pas le hasard décider pour vous

Chez SLASH AVOCATS, nous accompagnons régulièrement des entreprises implantées en France  et à l’étranger dans la rédaction et la sécurisation de leurs contrats commerciaux internationaux. Nous constatons encore trop souvent que des partenariats prometteurs échouent à cause de clauses juridiques sous-estimées ou mal comprises. Un contrat international ne se limite pas à un accord commercial. Il s’agit d’un document juridique de référence, qui doit pouvoir aider les parties à résoudre leur litige de manière rapide, transparente et prévisible sans coûts exorbitants. Chaque clause est un rouage dans la mécanique de l’opération internationale: droit applicable, juridiction compétente, objet du contrat, obligations, délais, pénalités, etc.

Si vous signez un contrat international sans l’intervention d’un professionnel du droit, vous laissez le soin aux juges (ou pire, à deux juges différents) de décider pour vous. Le risque ? De longues procédures, des décisions contradictoires, et une perte de confiance entre partenaires.  Investir dans une rédaction claire et juridiquement maîtrisée d’un contrat vous permet d’éviter des contentieux lourds et coûteux, et de protéger votre projet et votre entreprise à long terme.