Droit d’auteur et plateformes de streaming

Comment réagir face à la diffusion non autorisée de votre œuvre ?

 Analyse du Jugement du Tribunal Judiciaire de Marseille, Première Chambre Civile, 26 septembre 2024, RG 21/02241

La diffusion non autorisée d’œuvres sur les plateformes de streaming est une problématique courante pour les ayant-droits. Que vous soyez artiste, auteur ou détenteur de droits, il est essentiel de comprendre vos options juridiques lorsque votre travail est utilisé sans autorisation. La décision récente du Tribunal Judiciaire de Marseille conernant l’affaire qui opposait un artiste reconnu et la plateforme SoundCloud nous éclaire sur les moyens de défense des auteurs et les précautions à prendre pour faire valoir ses droits dans l’environnement numérique. Cet article explore les stratégies efficaces pour réagir face à une violation de vos droits d’auteur.

1- Le cas Death Moon : une bataille juridique complexe

En 2020, un artiste reconnu a découvert que son œuvre graphique Death Moon était utilisée sans son consentement sur la plateforme SoundCloud, via un utilisateur lié à Universal Music. Après un constat d’huissier, il a adressé une mise en demeure à SoundCloud en mai 2020, exigeant le retrait immédiat de son œuvre et une indemnisation pour la violation de ses droits d’auteur.

SoundCloud a réagi rapidement en supprimant le contenu en juin 2020, soit moins d’un mois après la mise en demeure, ce qui est considéré comme une réponse rapide. Toutefois, le litige ne s’est pas arrêté là. L’artiste a poursuivi SoundCloud et Universal Music, cherchant réparation pour la diffusion non autorisée de son œuvre. Mais, malgré des démarches procédurales complexes, il n’a pas réussi à prouver que la responsabilité directe de la plateforme était engagée suite à la violation de ses droits.

2- Les plateformes de streaming : hébergeurs ou éditeurs de contenu ?

L’affaire contre SoundCloud soulève une question cruciale pour les ayant-droits : dans quelle mesure les plateformes de streaming sont-elles responsables des contenus diffusés par leurs utilisateurs ? La Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique (LCEN) et la jurisprudence européenne, notamment la décision Google Adwords du 23 mars 2010 de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), distinguent deux régimes distincts: les hébergeurs et les éditeurs de contenu.

La jurisprudence européenne fournit des éclaircissements sur la manière dont les ayant-droits peuvent faire valoir leurs droits contre les plateformes de streaming. Dans sa décision du 22 juin 2021 concernant YouTube et Uploaded, la CJUE a par exemple précisé que l’exploitant d’une plateforme n’est responsable des violations de droits d’auteur que s’il a eu connaissance effective du caractère illicite du contenu, ou s’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour bloquer l’accès à ce contenu une fois informé.

Cela signifie que, tant qu’une plateforme réagit rapidement à une notification, elle ne peut être tenue pour responsable des actes de ses utilisateurs. Cependant, la responsabilité de la plateforme peut être engagée si elle joue un rôle actif dans la sélection ou la promotion des contenus illégaux, ou si son modèle économique encourage ce type d’infractions. Pour un ayant-droit, il est donc crucial de démontrer un éventuel rôle actif de la plateforme dans la diffusion illicite, ce qui peut s’avérer complexe.

Ainsi, aux termes de la jurisprudence de la CJUE, les plateformes peuvent être considérées comme des hébergeurs tant qu’elles ont un rôle neutre, c’est-à-dire purement technique, automatique et passif, sans intervenir directement dans la sélection ou la promotion des contenus. Dans l’affaire SoundCloud, le Tribunal Judiciaire de Marseille a suivi cette interprétation : même si SoundCloud propose des abonnements payants et des partenariats, la plateforme n’a pas joué un rôle actif dans la diffusion non autorisée de l’œuvre Death Moon.

3- Les limites de la responsabilité des plateformes

Dans l’affaire Death Moon, l’artiste a tenté de démontrer que la diffusion non autorisée de son œuvre via la plateforme SoundCloud engageait sa responsabilité, notamment en raison de ses partenariats avec Universal Music. Cependant, le Tribunal a jugé que SoundCloud avait respecté ses obligations légales en retirant rapidement le contenu et en jouant un rôle d’hébergeur passif. Le fait que la plateforme propose des abonnements payants n’a pas été suffisant pour engager sa responsabilité au titre d’une violation des droits d’auteur.

En conséquence, toutes les demandes de l’artiste ont été rejetées, et il a même été condamné à payer 10 000 € de frais d’avocats (les frais irrépétibles) à SoundCloud, en raison de la complexité de la procédure. Ce jugement rappelle que la charge de la preuve repose en grande partie sur le demandeur, et que des actions mal préparées peuvent entraîner des conséquences financières lourdes.

4- Conseils pour les ayant-droits victimes de contrefaçon sur une plateforme de streaming

Pour éviter que vos droits ne soient bafoués ou que vous ne subissiez des pertes financières en raison de procédures complexes, voici quelques conseils à suivre si vous constatez la diffusion non autorisée de votre œuvre :

  1. Rassemblez toutes les preuves nécessaires avant d’agir: Un constat d’huissier est un outil très utile pour prouver la violation de vos droits, mais il est important de collecter d’autres preuves, telles que des captures d’écran, des statistiques de diffusion ou des contrats liant la plateforme aux utilisateurs.
  2. Restez stratégique dans votre approche: Avant d’engager une procédure, réfléchissez aux implications juridiques et aux coûts potentiels. La charge de la preuve étant élevée, assurez-vous d’avoir les moyens nécessaires pour démontrer la responsabilité de la plateforme, de l’utilisateur ou d’autres acteurs.
  3. Faites appel à un avocat spécialisé: La propriété intellectuelle et la responsabilité des plateformes en ligne sont des domaines complexes. Un avocat spécialisé peut vous aider à maximiser vos chances de succès pour faire valoir vos droits.

Les données personnelles de l’artiste (en ce compris son pseudonyme) ont été anonymisées dans la décision, conformément au RGPD: dans la même logique, nous ne nommons pas cet artiste et nous n’utilisons pas son pseudonyme. Si vous souhaitez voir l’oeuvre Death Moon objet du litige, il vous suffit de taper « Death Moon Poster » dans google. Vous pourrez constater par vous-même qu’il s’agit d’un superbe poster