Comment réussir sa levée de fonds

1- Pourquoi est-ce que le juridique est crucial dans une levée de fonds pour les startups de la tech en France?

Dans le paysage entrepreneurial français, les startups de la tech connaissent une croissance exponentielle et jouent un rôle essentiel dans l’innovation et la compétitivité économique. La levée de fonds est une étape clé pour ces entreprises en quête de ressources financières pour financer leur R&D, développer leurs produits, étendre leurs marchés et renforcer leurs équipes. Cependant, ce processus complexe comporte des enjeux juridiques majeurs qui peuvent déterminer le succès ou l’échec de l’opération.

Ignorer ou sous-estimer ces aspects juridiques peut entraîner des conséquences désastreuses, telles que la dilution excessive du capital des fondateurs, la perte de contrôle de l’entreprise, ou des litiges coûteux et chronophages. À titre d’exemple, la startup française Qwant, moteur de recherche français respectueux de la vie privée, a raté sa levée de fonds en 2022 et frôlé la faillite en raison de négociations contractuelles complexes et de désaccords avec ses investisseurs.

Il est essentiel pour les startups tech de comprendre et d’anticiper les défis juridiques liés aux levées de fonds afin de sécuriser leurs intérêts et assurer une croissance pérenne.

2- Quelques exemples de risques juridiques dans les levées de fonds

A. Choix inapproprié de la structure juridique

Le choix de la structure juridique constitue la fondation légale de toute entreprise et influence directement la facilité et l’efficacité de la levée de fonds. En France, la Société par Actions Simplifiée (SAS) est souvent privilégiée par les startups en raison de sa flexibilité statutaire et de la facilité d’entrée des investisseurs au capital. À l’inverse, si opter pour une Société à Responsabilité Limitée (SARL) afin de démarrer l’activité à moindre coût peut être intéressant, ce choix de structure n’est pas adapté à des levées de fonds et peut limiter l’attractivité pour les investisseurs en raison de sa rigidité.

Notre cabinet a ainsi accompagné de nombreuses compagnies de la tech dans la transformation de SARL en SAS en préparation d’une levée de fonds : cependant, cette procédure requiert l’intervention d’un commissaire à la transformation et peut s’avérer chronophage. Dans un monde où il peut être difficile de convaincre des investisseurs dont le credo est souvent « success loves speed », une transformation peut vous faire perdre un temps précieux pour votre levée de fonds. Par ailleurs, aux termes de l’article L.227-3 de Code de commerce, la décision de transformation en société par actions simplifiée est prise à l’unanimité des associés. Un associé minoritaire peut ainsi potentiellement bloquer la transformation et partant, la levée de fonds.

La startup BlaBlaCar, spécialisée dans le covoiturage, a choisi le statut de SAS dès sa création, ce qui lui a permis d’attirer rapidement des investisseurs internationaux et de lever plus de 300 millions d’euros au cours de ses différentes levées de fonds. Ce choix stratégique a facilité l’émission de nouvelles actions et l’entrée au capital de divers fonds d’investissement, contribuant ainsi à sa croissance rapide.

B. Pacte d’associés mal rédigé ou inexistant

Le pacte d’associés est un acte extra-statutaire qui organise les relations entre les actionnaires et prévoit les règles de gouvernance, de cession de titres, et de sortie des actionnaires. Un pacte mal rédigé ou inexistant expose les fondateurs à des risques de dilution, de perte de contrôle, voire de départ forcé lors ou après une levée de fonds.

Il est indispensable de prévoir des clauses claires sur la répartition du capital, les droits de vote, la gouvernance, les modalités de cession des titres, et les mécanismes de sortie et résolution des conflits.

La startup française Sigfox, spécialisée dans l’Internet des objets, a été victime de son succès. Après avoir levé 300 millions d’euros auprès de grandes entreprises et de fonds d’investissement pour soutenir son projet de réseau mondial bas débit pour les objets connectés, Sigfox s’est retrouvée en redressement judiciaire en janvier 2022, avant d’être rachée par UnaBiz, une entreprise singapourienne. Ludovic Le Moan, son co-fondateur, indiquait en 2018 s’inquiéter d’une dilution excessive de sa participation au capital et avoir refusé une offre « de pas loin d’un milliard » d’euros pour son groupe. La chute retentissante de Sigfox rappelle l’importance cruciale d’un pacte d’associés clair et équilibré.

C. Risques liés au term sheet

Le term sheet est un document préliminaire qui énonce les conditions principales de l’investissement. Une négociation précipitée ou mal informée peut conduire à l’acceptation de clauses défavorables, telles que des privilèges financiers excessifs pour les investisseurs ou des droits de contrôle disproportionnés. Par ailleurs, les droits accordés aux investisseurs dans le cadre d’un term-sheet créent un précédent pour les tours suivants. Il est préférable de ne pas trop se diluer lors des premières levées de fonds, pour éviter de ne plus avoir la majorité de la société et de se retrouver en difficulté pour les levées suivantes.

En 2022, la startup française Doctolib, lors d’une de ses levées de fonds, a obtenu un financement de 500 millions d’euros. Cette levée de fonds a permis à Doctolib de devenir l’entreprise la mieux valorisée de la French Tech, avec un montant de 5,8 milliards d’euros. Les trois fonds poursuivent une logique d’investissement sur le long terme, tout en intégrant des critères d’ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) à leurs portefeuilles. Cependant, de nombreux médias ont souligné que le deal ne s’était pas fait sans difficulté, notamment dans la gestion des porteurs (BSPCE) qui ont exigé de longues négociations pour trouver un équilibre acceptable pour tous les intéressés.

3-Conclusion : Importance d’un accompagnement juridique pour sécuriser la levée de fonds

Les levées de fonds représentent des opportunités majeures pour les startups tech en France, mais elles s’accompagnent de défis juridiques complexes qui peuvent compromettre la réussite de l’opération et l’avenir de l’entreprise. Une préparation juridique rigoureuse, une négociation éclairée, et un accompagnement par des experts spécialisés sont essentiels pour naviguer efficacement ces processus et protéger les intérêts des fondateurs et de l’entreprise.

Les exemples récents du marché français démontrent que les startups qui accordent une attention particulière aux aspects juridiques de leurs levées de fonds sont mieux positionnées pour assurer une croissance durable et éviter des litiges potentiels. À mesure que le paysage réglementaire évolue, notamment avec l’introduction de nouvelles législations sur la protection des données ou la fiscalité, il est crucial pour les startups de rester informées et proactives dans la gestion de leurs obligations légales.

En définitive, investir dans une stratégie juridique solide dès les premières étapes de la création et du développement de la startup constitue non seulement une assurance contre les risques potentiels, mais aussi un levier de confiance auprès des investisseurs, facilitant ainsi l’accès aux ressources nécessaires pour innover et prospérer dans le secteur de la tech.